samedi 6 juin 2009

Multanime


« Et celui qui s’arrêtait à ces misérables subtilités de maniaque, c’était le même homme qui, quelques heures auparavant, avait senti son cœur palpiter d’une naïve émotion de bonté à la lueur d’un sourire imprévu. Ces crises contradictoires composaient sa vie, une vie illogique, fragmentée, incohérente. Il avait en lui toutes sortes de tendances, la possibilité de tous les contraires, et, entre ces contraires, une infinité de degrés intermédiaires, et, entre ces tendances, une infinité de combinaisons. Selon les temps et selon les lieux, selon le heurt accidentel des circonstances, d’un fait insignifiant, d’un mot, selon des influences internes beaucoup plus obscures encore, le fond permanent de son être revêtait les aspects les plus changeants, les plus fugitifs, les plus étranges. En lui, un état spécial correspondait à chaque tendance spéciale en la renforçant, et cette tendance devenait un centre d’attraction où convergeaient les états et les tendances directement associés, et l’association se propageait de proche en proche. Alors son centre de gravité se trouvait déplacé ; sa personnalité devenait une autre personnalité. Des ondes silencieuses de sang et d’idées faisaient fleurir, sur le fond permanent de son être, soit graduellement, soit tout d’un coup, des âmes nouvelles. Il était multanime. » 

Gabriele d’Annunzio, L’intrus (L’innocent), 1892 
cité en note par Philip Kolb, correspondance de Proust, IV




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