lundi 4 juin 2012

Deux petits sermons




Se tourmenter et s’exaspérer sont choses peu dignes, sottement suicidaires et théologiquement impardonnables ; nous sommes ici non pour ouvrir, mais pour déchiffrer des sentiers prédestinés ; nous sommes l’écume d’une vague, et conserver une juste sérénité ne constitue pas simplement la première mesure de soumission à Dieu, c’est aussi la plus grande des bontés que nous puissons avoir à l’égard de ceux qui nous entourent. Ce sermon s’adresse à moi, mais à toi aussi. Faire de notre mieux est une chose, mais nous laver les mains des conséquences avec le sourire est l’étape suivante de toute vertu bien comprise. Et nul, sinon un athée, n’a le droit d’ergoter à propos de quoi que ce soit, excepté les péchés dont il est conscient.
 

R. L. Stevenson à son père, le 12 octobre 1883

 





Vous me paraissez être un jeune homme assez chanceux ; restez attentif aux bonheurs qui vous sont accordés. Cette part de la piété est éternelle, et l’homme qui oublie d’être reconnaissant s’est endormi dans le cours de sa propre vie. Veuillez admettre que vous ne méritez pas tout ce qui vous échoit ― vous ne méritez pas non plus ce déplorable sermon, vous entends-je gémir ; mais le fait est que nous sommes indignes de nos bonheurs ; l’amour nous prend alors que nous faisons semblant, le succès vient alors que nous jouons, la santé reste avec nous alors que nous abusons d’elle ; et même quand nous nous moquons de nos semblables, nous devrions garder à l’esprit qu’il dépend de leur seul bon vouloir que nous soyons toujours en vie, et avec des prétentions à l’honneur. Les péchés les plus innocents, s’ils étaient justement punis, seraient gâtés aux yeux de qui les commet. Et si vous connaissez un homme qui se croit digne de l’amour d’une épouse, de l’affection d’un ami, des caresses, même vénales, d’une maîtresse, vous pouvez être sûr qu’il n’est digne que d’un bon coup de pied. Je crains les hommes qui n’ont pas de défauts avoués ; qu’est-ce qu’ils dissimulent ? Notre destin en ce monde n’est pas d’être bons, mais de tenter de l’être, et d’échouer, et d’essayer encore ; et quand nous recevons un gâteau, de dire : “Merci, mon Dieu !” et quand c’est une gifle, de dire : “Normal, bien envoyé !”


Le même à Trevor Haddon, le 23 avril 1884


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire