lundi 14 février 2011

C'est bien ma veine




« Maintenant, dis-moi, j’ai pas d’instruction, mais toi qui sais lire et compter, réponds-moi franchement, un homme mort, il est mort une fois pour toutes, ou bien èsse qu’i’r’vient à la vie ?
 
— On peut tuer le corps, Monsieur Hands, mais pas l’esprit. Mais vous devez bien le savoir, répondis-je. Ce malheureux O’Brien, là, est dans un autre monde et peut-être qu’il nous voit en ce moment.
 
— Oh ! s’exclama-t-il. C’est bien ma veine ! Si j’comprends bien, on perd son temps à tuer son prochain. » 

L’Île au trésor, chapitre XXVI



mercredi 9 février 2011

Une seconde d'attention





« Il y a des choses dont on ne croit pas sa mémoire, et il y a même des choses dont on ne croit pas ses yeux. Ou ses oreilles. D'ailleurs, dès que l'inattention cesse (car nous vivons très distraitement), presque tout devient incroyable. Une seconde d'attention, et on ne comprend plus rien. C'est le fantastique de la réalité. » 
 

Alexandre Vialatte



lundi 7 février 2011

Canards hypertendus




« À première vue personne dans la cour qu’un platane au milieu. Puis Meyer distingua la tête et le poitrail luisant d’un cheval fou dans l’ombre d’une stalle, forte bête écumante aux yeux gelés de terreur et qui, soudain se cabrant, se mit à battre des antérieurs contre la porte du box. Le choc répété des sabots sonnait d’abord sinistrement puis Meyer s’aperçut, à quelques autres signes, qu’une atmosphère inquiète pesait sur la basse-cour : frissonnant rang serré, les poules s’étaient juchées sur une branche du platane, quelques canards hypertendus investissant la branche du dessus, loin du rond d’eau boueuse au bord duquel, regard immobile et soies hérissées, quatre porcs paraissaient en état de choc. Tout cela respirait moins une peur précise — les mauvais traitements, les garçons-bouchers, les fours à micro-ondes — qu’un profond malaise flou. »

 

Jean Echenoz, Nous trois (1992)



dimanche 6 février 2011

Une ligne de plus sur les chats




« Il est bien évident, me dis-je en arrivant au péage, en vue de Paris, que si j'écris une ligne de plus sur les chats, ça va aller mal pour moi. Une fois, deux fois, passe encore. Ensuite, on est déconsidéré. Rien ne me servira de plaider que jamais je n'ai eu de chat, mais que presque toujours les maisons dans lesquelles je me retrouvais en comportaient un (tel, le chat noir à Meillant, rebaptisé Milko), ce dont je ne puis être tenu pour responsable. D'ailleurs, une maison sans chat (surtout les noirs, qui semblent fascinés par les documentaires, à la télévision, portant sur les rhinocéros, le reste des programmes ne les intéresse absolument pas) n'est pas une maison. Oui mais, me dis-je, préparant la monnaie, les livres, ne sont pas des maisons. » 

Frédéric Berthet, Paris-Berry (1993)