lundi 25 avril 2011

Le drame joyeux de la médiocrité


Les hasards de la vie, l’appel d’une amie, une place en trop, un après-midi à tuer ont fait que j’ai assisté, hier, à la dernière représentation de Don Giovanni à l’Opéra de Marseille. Ah ! L’Opéra de Marseille ! Il faut le voir pour le croire. Imaginez un gros cube de béton sans grâce, des balcons qui vous rentrent dans les genoux, un système d’aération inexistant qui transforme bientôt la salle en étuve où les lourds parfums d’un bon millier de vieilles bourgeoises se liguent pour vous faire suffoquer comme dans une boutique Séphora à l’heure de pointe le jour de la Saint-Valentin : attaque des muscs sous les stucs, les plus fins nez n’y résistent pas. Toutefois l'odorat n'est pas le sens que l’Op. de Mars. éprouve le plus durement, c’est la vue surtout qui en prend plein la gueule. Seriez-vous enivré par les effluves de laque Elnett et de Shalimar, ce qui a le front de se montrer sur scène vous fera bien vite dessoûler. Et pendant trois heures d’horloge, vous vous demanderez en vous pinçant mentalement jusqu’au sang pourquoi la direction de l’Opéra de la seconde ou troisième ville de France, demain "capitale culturelle" (rire nerveux), a engagé un décorateur dont la dernière des fêtes de patronage à Lampaul-Plouarzel (Finistère) ne voudrait pas. Les plasticiens de talent manqueraient-ils en région Paca ? Le moins doué des élèves des Beaux-Arts, à n’en pas douter, s’en sortirait mieux. Panneaux coulissants peints à l’éponge, énormes buissons en forme de couille s’avançant par à-coups pour figurer un jardin qu’un vieux reste de fierté nationale m’interdit de nommer à la française, pesant lustre retenu par un câble apparemment recouvert de papier mâché, jusqu’à un arbre au dernier tableau évoquant plutôt un gigantesque balai à chiottes, chacune de ses propositions aggrave un naufrage esthétique pourtant consommé dès les premières minutes. 



Il y a cependant un certain panache dans tant de laideur, en quelque sorte un parti pris. Auprès d’elle, les costumes sont simplement quelconques et la mise en scène tout juste insignifiante. Figurez-vous qu’il y a une trappe au centre du plateau, dont le dessin est parfaitement visible. Et que pensez-vous que fait Don Juan au moment d’être précipité dans les enfers ? Je l’ai craint pendant toute la scène sans oser y croire et pourtant si : il se positionne sur ce petit carré et disparaît tranquillement à notre vue, à deux à l’heure, comme je vous le dis. On est soufflé par tant d’imagination. C’est la même puissante inventivité qui a passé le Commandeur à la bombe argentée — comme ces statues vivantes qu’on voit dans la rue juchées sur un carton, on lui jetterait volontiers une pièce si sa voix de basse, tout de même, n’en imposait. Car j’allais oublier la musique : les chanteurs étaient assez bons. L’orchestre sans légèreté ni fièvre, pour ainsi dire administratif, à l’image de ces trombones quittant la fosse quand ils n’ont rien à jouer et revenant après leur pause clope comme si de rien n’était. C’est Mozart qu’on plonge dans le coma. Mieux eût valu l’assassiner. Mais à Marseille, que voulez-vous, on fait toujours les choses à moitié.


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