jeudi 14 juillet 2011

L'orageux martyr de la phrase




Ah ! il ne se renouvelle pas, le vieux serpent, et n’évolue guère, je vous en réponds. 
Les clichés Zola sont assez connus : « le soleil qui met sa note claire sur quelque chose », par exemple. Bien que je ne les aie pas comptés, j’estime qu’ils ne peuvent guère dépasser le chiffre de trente ou quarante, servis régulièrement et infatigablement, depuis qu’il y a des Rougon et qu’il existe des Macquart
Il paraît que cela suffit aux cent cinquante mille clients de Nana ou de la Débâcle. Plusieurs même doivent trouver que c’est encore trop littéraire, trop encombrant. 
Le débit serait peut-être plus énorme si on écrivait décidément, résolument et tout à fait comme un gendarme ou comme un garde-barrière, mais il faut bien faire quelque chose pour l’Académie. 
Chacun de ces inusables clichés, dont Monsieur Zola est l’heureux fermier, fut calculé pour un nombre indéterminé de situations identiques où le lecteur est toujours certain de les retrouver. Il est vraiment difficile de se tuer moins que ne le fait ce grand travailleur. 
Certes, je ne puis être accusé de fanatisme pour Flaubert dont tous les livres, à l’exception d’un seul, m’ont exaspéré. Tout le monde, pourtant, sait le labeur infini de cet homme, « courageux autant que tous les lions, — disais-je en 1890, dans une oraison funèbre, — mais acharné sur une idée imbécile et s’efforçant, vingt années, d’extraire de son intestin le ténia séditieux et inextirpable de l’Inspiration ». 
N’étant rien qu’un volontaire, il ne put créer une œuvre de génie, mais il fut, incontestablement, l’un des plus probes écrivains qu’on ait jamais vus. Il laissa peu de livres, parce qu’il se contentait lui-même difficilement, si on peut dire qu’il se contenta, et ces livres, à si grand’peine obtenus, se vendirent peu, n’étant pas faits pour la multitude. 
Que ne dirait-il pas, l’incorruptible, en lisant aujourd’hui Lourdes ou la Bête humaine ? en voyant reparaître, toutes les vingt pages, les isochrones formules de ce balancier inconscient qu’on nomme l’auteur et dont le va-et-vient perpétuel donnerait le mal de mer à des albatros ? 
Que ne gueulerait-il pas en son gueuloir, l’orageux martyr de la phrase, en apprenant qu’un si fangeux domestique de la populace, un tel messie de la tinette et du torche-cul, ose, quelquefois, le mentionner comme un précurseur ?

Léon Bloy, Je m'accuse (1900)


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