dimanche 8 septembre 2013

Qu’on puisse apprendre à écrire à quelqu’un


« Je ne crois absolument pas aux recettes et aux manuels, et du reste, j’ai honte de l’avouer — peut-être est-ce un sentiment réactionnaire —, mais l’Institut de Littérature me fait peur. Je comprends qu’on y travaille à élever le niveau culturel et la qualification des hommes, et je trouve que c’est, en effet, indispensable. Qu’on y enseigne le français ou l’anglais, très bien, mais qu’on puisse apprendre à écrire à quelqu’un, voilà ce que je ne comprends pas. Je ne peux parler ici que de ma propre expérience. 
J’essaie de choisir mes lecteurs et, ce faisant, je m’efforce de ne pas me rendre la tâche trop facile. Je me propose un lecteur intelligent, cultivé, avec un goût robuste et exigeant […] L’essentiel, ici, est de se représenter le lecteur et de se le représenter aussi sévère que possible. C’est ce que je fais. Le lecteur vit en moi, mais comme il y vit depuis assez longtemps, je l’ai façonné à mon image et à ma ressemblance. Peut-être a-t-il fini par se confondre avec moi. 
Lorsque vous avez terminé un récit, ne le lisez jamais à personne dans le feu de l’enthousiasme, ne courez pas faire part de la grande nouvelle : j’ai accouché ! Ce n’est pas si facile que ça. Il faut faire de gros efforts pour se retenir de courir lire son œuvre chez le voisin, pour la laisser reposer et la relire plus tard, l’esprit frais. Quand j’ai choisi mon lecteur, je songe à la manière de le duper, de l’abasourdir, ce lecteur intelligent. Je le respecte. La vieille philosophie des acteurs selon laquelle “le public est bête” est une chose épouvantable. Il faut se trouver un critique sérieux et essayer de l’impressionner jusqu’à ce qu’il en perde le souffle. Voilà l’ambition qu’il faut avoir. Et dès que ce sentiment s’éveille en vous, vous cessez de faire des grimaces. » 

Isaac Babel



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