samedi 22 février 2014

Fantôme du genre humain


« La plupart de nos opinions sont fausses. Or, c’est des sens que nous les recevons. On se passera donc de leurs enseignements pour parvenir à des certitudes, s’il en est, qui ne leur doivent rien. Encore qu’il soit parfaitement seul, dans une maison d’Amsterdam à l’adresse inconnue, Descartes est et se sait environné, en pensée, de contradicteurs sans nombre. Le fantôme du genre humain fait cercle autour de lui. La grande voix du sens commun résonne à son oreille, en silence. Refuser le témoignage de ses sens ? Quelle suspicion extravagante. Quoi ! N’est-il pas assis, en robe de chambre, près d’un feu ? Ne voit-il pas ses mains ? Ne sent-il pas son corps ? Sans doute. Mais il lui est arrivé souvent d’en être persuadé au même degré alors qu’il n’en était rien. Il était tout nu dans son lit, les yeux clos. Il dormait. Et on ne trouve nul indice, dans les rêves, qu’ils ne sont pas la réalité ni, dans la réalité, qu’elle n’est pas un rêve. Rien donc n’est-il plus assuré ? Nulle chose ne survivra-t-elle à l’incertitude que l’invicible sommeil répand sur toute l’existence ? » 

Pierre Bergounioux, Une chambre en Hollande (2009)


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