mercredi 16 juillet 2014

Les mains des hommes



On ne peut pas vivre la vie comme un rêve. Le temps réel avec ses réalités est sans appel. La seule issue est d'oublier. Il y a la bénédiction des séparations. L'un ne se coule pas dans l'autre et ne se perd pas dans une forme double. Le présent est une ligne effilée, sur laquelle l'avenir s'épure, devenant du passé. Les morts ne se réveillent plus. Sauf dans le rêve, qui est hors du temps, de l'espace, dépourvu du poids des choses, et qui descend sur nous comme une saveur multiple, comme le projet d'une création qui ne fut pas accomplie. L'avantage de l'état d'éveil, c'est l'événement vécu. C'est une ancre immuable jetée dans les flots du devenir ; un canot est bercé par les petites vagues d'une rivière, il se balance d'un côté et de l'autre au bout d'un filin, il flotte sur place du matin au soir et même de nuit, quand on ne le voit pas. 

Hans Henny Jahnn, Les Cahiers de Gustav Anias Horn
tome I, p. 262


"Sans droits ?" Il partit d'un grand rire. "Sans droits ? Sans droits ? Tout le monde est sans droits. Chacun à sa manière. Un roi n'a aucun droit, lorsqu'un ennemi l'a vaincu. Le juge est démuni, lorsqu'il est accusé. Le sujet est sans droits, lorsqu'il est traduit en justice. L'animal est sans droits, lorsque, quittant la nature sauvage, il est dévoré ou tombe dans une trappe ou dans une écurie. Le mort est sans droits, car il est moins qu'un objet. L'arbres est sans droits, car on lui vole ses fruits et on l'abat. La pierre est sans droits, car on la fracasse. Seules les étoiles sont dans leur droit, car les mains des hommes sont incapables de les cueillir."


Ibidem, p. 301


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