mercredi 20 mai 2015

Atomes de navire, chat du concierge & désossement


Le monde de la quatrième dimension étant continu, aucun mouvement, au sens vulgaire du mot, ne peut s’y produire comme dans le monde mobile à trois dimensions. Un déplacement se fait donc par un échange de qualités entre atomes voisins et, pour employer la même image grossière que précédemment : lorsqu’un navire se déplace, ce sont les atomes d’eau qu’il a devant lui qui se muent en atomes de navire, tandis que, derrière lui, les atomes de navire se muent en atomes d’eau. 

[Chapitre VIII, La transmutation des atomes de temps]





Ce fut à ce moment que se produisit l’épouvantable catastrophe du Photophonium, au cours d’une dernière séance qui eut lieu dans le grand amphithéâtre et où l’on tenta d’obtenir des élèves une vision plus claire et plus distincte des choses invisibles. 
Tout d’abord, il y eut dans la salle un grand cri, puis d’autres encores : les élèves voyaient, et à mesure qu’ils voyaient, leur agitation devenait extrême. Habitués qu’ils étaient aux calmes méthodes scientifiques, aux déductions logiques et bien équilibrées, ils voyaient brusquement surgir à leurs yeux toutes les sensations passées, toutes les vibrations accumulées dans l’air depuis des siècles, toutes les paroles inutiles prononcées, toutes les influences mauvaises, les désirs ou les haines, les apparitions fantomatiques des idées et des âmes d’autrefois et leurs conséquences terribles dans l’avenir. 
Ce fut pour eux comme si, brusquement, un orage effroyable s’était déchaîné dans la salle. Perçu sous forme d’impressions lumineuses, ce chaos déconcertant entraînait leur esprit, brisait les appareils dont ils étaient entourés, se déchaînait en tempête dans leur cerveau affolé. Pêle-même, ils essayaient de s’enfuir, mais leurs mains, savamment éduquées, ne rencontraient plus, au long des murs, que des sensations de goût inconnues ; les hurlements des spectateurs ne parvenaient plus à leur cerveau que sous forme d’odeurs violentes, et les lumières de la salle bourdonnaient dans leurs oreilles un affreux tintamarre. 
Presque tous, détraqués, démolis pièce par pièce, comme des machines trop savantes, succombèrent à cette terrible épreuve et lorsque la salle fut entièrement évacuée on ne trouva là, le lendemain, que le petit chat du concierge qui, doucement, se léchait, puis, de temps à autre, regardait tranquillement, de ses yeux adaptés par une habitude séculaire, les fantômes d’idées qui passaient lentement, comme chacun sait, dans l’atmosphère. 

[Chapitre XXIII, La vision de l’invisible]





On choisit, parmi les familiers de la quatrième dimension, quelques sujets qui furent chargés d’aller examiner minutieusement le monde des rêves et de se rendre compte, par eux-mêmes, des déroutants événements qui s’y passaient. Ils en revinrent fort effrayés, après quelques nuits d’observation. 
L’un deux, malgré une défense très énergique, avait eu le bras droit dévoré par un crocodile à vapeur à corps de vache ; un autre, ayant passé toute sa nuit à porter, en courant, de petits bagages d’un poids fabuleux et à les déménager d’un train dans un autre, avait été enfin dépouillé de ses derniers vêtements et des os de son squelette, en pleine campagne, par un troupeau de nuages blancs qui s’étaient montrés impitoyables. 

[Chapitre XXXIX, Les matérialisations de cauchemars à trois dimensions


Gaston de Pawlowski, Voyage au pays de la quatrième dimension (1912)


2 commentaires:

  1. Sans doute à rapprocher de "Flatland" de Abbott....

    RépondreSupprimer
  2. On peut y penser en effet, mais chez Pawlowski le délire est moins rigoureux, son voyage part dans tous les sens, aborde différents genres, c'est complètement foutraque.

    RépondreSupprimer