jeudi 26 novembre 2015

Da capo





Découvert ce matin ces trois lignes de Nietzsche, écrites quand il avait vingt-sept ans. À la fin, qui n'en est pas une, il est spécifié da capo con malinconia, soit "derechef avec mélancolie". L'éternel retour se compose donc d'une minute en boucle et en fa dièse mineur — ou en la majeur, si vous êtes optimiste : la mélancolie, elle, demeure, indifférente à ces querelles de tonalité, et pour tout dire au-dessus de tout ça.







mardi 24 novembre 2015

Viatique #2





Seul l'instinctif jet survit, qui a dressé une belle musculature des fantômes.  
[Stéphane Mallarmé, Divagations, 1897]



lundi 23 novembre 2015

Viatique #1




J'ai fait mes plus beaux voyages sur des routes mal éclairées. 
[Léon Bloy, L'invendable, 24 octobre 1905]


vendredi 20 novembre 2015

Jours de couardise





Cette nuit j’ai pu dormir plus de trois heures consécutives, expérimentant enfin de nouveau ce bon vieux sommeil réparateur. Jusqu’à présent, j’étais la proie d’une terreur physique certes disproportionnée mais indubitable. J’en avais déjà une petite idée, mais j’ai pu mesurer combien j’étais lâche, ou plutôt, combien mon corps est lâche. Il n’y a pas, dans tout mon corps, le plus petit atome de courage. Du sang prêt à couler, des litres, mais du courage : peau de balle. Mardi, c’était mon anniversaire, je ne voulais rien faire que continuer à m’abrutir de joints et à regarder des séries idiotes afin de ne penser (d’ailleurs avec succès) à rien, mais j’ai finalement consenti à sortir, en début de soirée, pour boire un verre sur une terrasse du cours Julien. J’ai davantage siphonné que siroté ma piña colada (je tressautais au moindre bruit), et cela fait je n’ai eu qu’une envie : rentrer chez nous. Là, la voix d’un expert de la télé, m’exhortant à résister à la tentation du repli sur soi, me parvint déformée par les parois de ma coquille. Il avait raison, fit valoir mon hémisphère gauche, à ce train-là tu finiras dans tes ordures comme la séquestrée de Poitiers, à ce propos je te signale que tu ne t’es pas lavé depuis trois jours, ce n’est pas cette mince couche de crasse qui te protègera des impacts. Ce matin, je suis modérément angoissé et propre.



mardi 17 novembre 2015

L'avant-dernière peur



Soir du 14 novembre. 



Même pas peur, ce sont les enfants qui parlent ainsi, et je ne suis hélas plus un gamin. Encore moins un enfant de la patrie, c’est-à-dire que techniquement je le suis, mais je ne me vois pas pour autant chanter La Marseillaise la main sur cœur, nonobstant la présence attestée de soldats féroces : ce serait grotesque. Or par ce sentiment (ouf, il était moins une) je rejoins la claironnante opinion commune : la vie continue — puisque j’ai encore peur du ridicule.



Courage et peur, deux pôles d'une même maladie consistant à accorder abusivement une signification et une gravité à la vie… C'est le manque d'amertume nonchalante qui des hommes fait des bêtes sectaires : les crimes les plus nuancés comme les plus grossiers sont perpétrés par ceux qui prennent les choses au sérieux. Le dilettante seul n'a pas le goût du sang, lui seul n'est pas un scélérat…  
Emil Cioran, "Les méfaits du courage et de la peur" in Précis de décomposition




mercredi 11 novembre 2015

Retour de la marmotte






Les librairies indépendantes de Marseille et de la région PACA, qui se trouve être la mienne, organisent dès demain et jusqu'à samedi un Automne littéraire dont on trouvera le programme détaillé ici. Le côté pratique de la chose, c'est que la librairie L'histoire de l'œil, où je donnerai une lecture samedi soir, à partir de 18h30, est à dix minutes de chez moi à pied, dans le prolongement de la rue où je succombe ordinairement aux cannoli maison d'un excellent traiteur italien. Je prendrai soin de me munir du DVD d'Un jour sans fin, dont je ferai voir quelques extraits à mes auditeurs rescapés du vendredi 13 et promus du coup au rang de spectateurs. Vous aurez compris qu'il sera question de mon dernier petit ouvrage. Ce moment polyvalent sera suivi d'un apéritif.



dimanche 8 novembre 2015

Aventures du thème


J’avais ce thème en tête depuis quelques jours, il m’asségiait comme toute bonne obsession ; c’était un thème d’Alkan, de cela j’étais sûr, mais je ne me souvenais plus dans quoi. Ce matin je me suis mis à sa recherche. J’ai d’abord pensé à la Symphonie pour piano seul, que je n’avais pas écoutée depuis longtemps. Son premier thème est magnifique, mais ce n’était pas celui qui avait pris ses aises dans mon crâne. J’ai passé en revue le Concerto (pour piano seul également, Alkan n’avait besoin de personne) sans y croire ; il n’y était pas non plus. Finalement je l’ai reconnu en feuilletant la Grande Sonate dite “Les Quatre Âges”. Dans le second mouvement, “30 ans : Quasi-Faust”, il apparaît ainsi pour la première fois : 




Mais il sonnait plus grave dans mon esprit, j’étais obsédé par une autre de ses apparitions. Alkan me facilitait la tâche en assignant à chacune d’entre elles un affect explicite. Si je n’étais pas candide, étais-je passionné ? 





Pas davantage (c'était vexant). Décidément, le thème tel que je l’entendais, tel qu’il m’enchantait, était plus grave. Ce qui me permettait d’écarter au premier coup d’œil : 





Ouf — je n’étais pas du genre implorant. Vous devinez la suite, évidemment, vous connaissez le romantisme comme votre poche. 




Or ce n’était toujours pas ça. J’approchais de la fin et le thème n’avait pas été joué une seule fois à nu dans les basses, comme une liturgie russe et comme mon esprit seul se le représentait : sa dernière incarnation, dans le texte, marquait l’heure d’un happy ending qui ne me concernait pas. Le thème s’était détaché de l’œuvre, d’une certaine façon, pour vivre sa vie dans ma mémoire. 





Mais — était-ce plus facile en 1850 ? — le sentiment qu'il porte est indéfinissable. 


dimanche 1 novembre 2015

Des guillemets, des frites et de Christian Estrosi


Une chose m’a toujours amusé : l’usage parfois curieux que mes contemporains font des guillemets. J’en ai eu récemment sous les yeux deux exemples. Le premier est un classique du genre. La carte d’un restaurant me signalait que tous leurs plats étaient accompagnés, je cite, de frites “maison”. L’expression est pourtant ancienne dans l’hôtellerie, on l’emploie facilement depuis un siècle et demi, mais il faut croire que le rédacteur a jugé dans ce cas qu’elle était cavalière, trop familière — je cherche une bonne raison. Sauf que j’y lis, moi, invinciblement, des guillemets d’ironie, lesquels auraient tendance à me faire douter sérieusement que ces frites maison soient vraiment maison. De toute évidence cependant, on n’a pas voulu, ici, me faire comprendre en douce que ces frites prétendument maison sont en fait industrielles. Mais le doute demeure, le ver est dans le fruit, et par la faute de ces guillemets impropres ces frites m’inspirent de la suspicion. 

Second exemple, plus épineux. Les élections approchent et dans ma ville s’étalent partout les affiches de la liste Estrosi, dont le brillant slogan n’est rien de moins que : “Ça va changer”, guillemets compris. Regardez si vous ne me croyez pas. 



Sur les instances de mes yeux qui saignaient, j'ai finalement préféré mettre un lien vers l'affiche en question et illustrer ce billet par l'un des résultats de la recherche "inverted commas" dans Google Images.


Mais là, l’embarras est plus vaste, ce ne sont pas seulement les guillemets et leur involontaire ironie qui posent problème, bien qu’ils soient (je parle pour moi) aussi cocasses que perturbants. Car en effet, que recouvre au juste le “Ça” ? La région Paca, qui changerait grâce à M. Estrosi ? M. Estrosi lui-même, qui nous changerait des autres (ça m’étonnerait) ? Cite-t-on ce dernier au discours direct ? Est-ce tout ce qu’il a à nous dire, que ça (on ne sait pas quoi) va (on ne sait pas quand) changer (on ne sait pas comment) ? Je me demande si un tel degré d’imprécision et, disons-le, de nullité a jamais été atteint par un slogan avant celui-ci — ce qui est un tour de force, vu qu’on nous promet le changement depuis qu’il existe des isoloirs. On notera également que ce style familier possède, je ne sais pourquoi, un petit air menaçant, renforcé d’ailleurs, à mon avis, par l’absence de ponctuation finale, étant donné les guillemets : un point d’exclamation aurait rendu la chose à la fois plus inoffensive et plus conne (c’est donc possible !), des points de suspension l’aurait dotée d’un peu de mystère… En l'état, elle fait froid dans le dos.  
Reste une dernière question : une agence de communication a-t-elle été payée grassement pour trouver “ça”, ou serait-ce un slogan maison ?